Bon papier de François Reynaert où l’on apprend que quand Eva Joly propose au détour d’une phrase de remplacer le défilé militaire par un défilé citoyen, elle est plus dans le vrai que les Fillon, Luca et autres soi disant gardiens du temple qui hurlent à l’agonie dès qu’on interroge les « symboles de la République ».
Il faut également savoir que cette proposition, Eva Joly l’a faite au détour d’une phrase : nous étions présents jeudi 14 à Bastille (!) au rassemblement « contre la politique du pilori » du gouvernement, à l’initiative de la LDH et de nombreuses autres associations, dont Citoyens Résistants d’hier et d’aujourd’hui (qui organisent le rassemblement au plateau des Glieres chaque année). Il y avait également des anciens résistants dont Raymond Aubrac et une intervention vidéo de Stéphane Hessel. Retrouvez les vidéos des interventions aux Glieres ici
Et on était en pleine intervention de Didier Magnin, président de l’association, quand sont passés bruyamment des véhicules militaires. Didier, qui est aveugle, n’a pas compris d’où venait le bruit qui couvrait son discours jusqu’à ce qu’on lui explique que c’était les véhicules militaires qui quittaient le défilé du 14 juillet. Et lui de répondre que c’était pas du tout les mêmes valeurs que ce qui nous rassemblait là.
Eva n’a fait que rebondir devant la presse pour déplorer justement que le 14 juillet, date de la prise de la Bastille, mais fête nationale surtout en souvenir du premier anniversaire de cet évenènement, ne soit réduit à une dimension militaire. A lire plus bas.
A noter que le 14 juillet, Eva Joly ne s’y intéresse pas que cette année. L’année dernière, où tous les pays anciennes colonies étaient invités, elle en pensait ça
Lionnel Luca conseille à Eva Joly d' »apprendre l’Histoire de France ». Toi-même, pourrait-on lui rétorquer.
Les troupes défilent le 14 juillet 2011 sur les Champs-Elysées (AFP
C’est la polémique du week-end, une polémique en fanfare, si l’on ose écrire : Eva Joly a-t-elle raison de vouloir remplacer le défilé militaire du 14 juillet par une parade citoyenne ? Laissons ici de côté les basses attaques sur la citoyenneté supposée trop récente de la candidate écologiste : la plupart des leaders de gauche et des éditorialistes, dont ici même notre ami Renaud Dély, ont rappelé à quel point elles étaient ignominieuses. Focalisons-nous sur un seul point, la « tradition ». M. Fillon, pour défendre les chars sur les Champs en appelle à celle-ci. M. Guaino, le Maurice Barrès du sarkozysme finissant, ne reculant devant rien, brandit les morts : on sent qu’on est à deux doigts du procès pour haute trahison. Heureusement que les tribunaux militaires d’exception n’existent plus. M. Luca, enfin, le comique troupier de la droite populaire, jette à la figure de notre pas vraiment française, cet argument massue : « Elle devrait apprendre l’Histoire de France ». Toi-même, pourrait-on lui rétorquer, ainsi qu’à ses deux compères.
L’habitude d’organiser un défilé militaire pour célébrer la fête nationale est ancienne dans notre pays, mais pas si ancienne qu’on le croit souvent. Elle ne date pas de la Révolution elle-même, mais de la fin du XIXe. A l’époque, la jeune Troisième République cherche à développer le sentiment national, c’est l’époque où on en pose les grands symboles : la Marseillaise devient notre hymne (1879), le devise « liberté égalité fraternité » apparaît au fronton des mairies, et tous les ans, comme on le chante plaisamment, on va « fêter voir et complimenter l’armée française » (la fameuse chanson « En revenant de la revue » date de 1886). La défaite de 1870 n’est pas loin, le féroce Uhlan est de l’autre côté des Vosges, le lien entre le patriotisme et l’uniforme est évident. L’est-il encore aujourd’hui ? Et surtout, est-il le seul qui vaille ? La plupart des soldats sont de grands patriotes. Les civils n’auraient donc pas le droit de l’être ?
On peut remarquer déjà que le fait de faire parader des chars et des soldats le jour de la fête nationale est une habitude que notre pays ne partage qu’avec quelques aimables contrées, comme la Chine ou la Corée du Nord : à notre connaissance, aucune autre démocratie au monde n’y souscrit. Ensuite, on peut rappeler le sens premier, profond, originel de notre14 juillet. Laurent Joffrin vient d’y faire allusion dans son récent éditorial sur la droite « saucisson pinard ». Contrairement à ce que pensent trop de gens, le 14 juillet, nous ne célébrons pas la prise de la Bastille, mais l’événement qui en commémora le premier anniversaire, la « fête de la Fédération » du 14 juillet 1790. Quand les grands républicains des années 1870-1880 ont cherché une date qui rassemble tous les Français, ils ont préféré en effet éviter les têtes coupées et les piques brandies pour se focaliser sur un des rares moments de concorde de la turbulente décennie révolutionnaire : ce jour-là, sur le Champ de Mars, toutes les provinces de France, tous les corps constitués du pays, tous les citoyens vinrent marquer officiellement leur libre adhésion à cette entité nouvelle, la nation.
C’est exactement ce que propose Eva Joly aujourd’hui avec son idée de mettre à l’honneur toutes les initiatives citoyennes et toutes les forces vives de notre pays. En cela, elle ne pèche pas contre le patriotisme, bien au contraire, elle cherche à en élargir la base. Et surtout en cela, elle ne va pas contre « notre histoire » comme le pensent ceux qui, décidément, la connaissent bien mal. Elle est la seule à en respecter l’esprit.
François Reynaert – Le Nouvel Observateur
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