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2 mars 2010

Les 15-30 ans: génération sans carte

Ecrit par Flore Thomasset dans National , le 1/03/2010

manifestante

Individualistes et matérialistes, les «jeunes» ne seraient-ils bons qu’à manier un smartphone? Pas si sûr.

La jeunesse dépolitisée est le genre de cliché bien-sympa-comme-on-les-aime, dans la même veine que le «c’était mieux avant» ou le «on nous dit rien». Courant dans les années 1980 et 1990, ce cliché réapparaît encore régulièrement, à chaque élection, voire à chaque manifestation: les p’tits malins, ils ne manquent pas une occasion de rater les cours, mais quand il faut vraiment s’engager, y a plus personne. La preuve, ils ne votent pas. Génération individualiste et matérialiste, les 15-30 ans ne seraient finalement bons qu’à manier un iPhone. Je force à peine le trait.

Une nébuleuse d’associations

Certes, cette génération n’est pas une acharnée du bulletin de vote. Pour preuve, les taux d’abstention de la jeunesse française. Pourtant, souligne Anne Muxel*, sociologue au Cevipof, les jeunes ne sont guère pire que leurs aînés: «Depuis 30 ans, on demande régulièrement aux jeunes si le débat politique les intéresse. Ils sont toujours autant, c’est-à-dire une petite moitié, à répondre que oui.» L’âge d’or de la jeunesse engagée, qui culmine avec 1968, serait donc un fantasme construit a posteriori par les participants aux événements de Mai. Guillaume Houzel, ex-président de l’Observatoire de la vie étudiante, ne le dit pas comme ça, mais l’idée y est: «L’engagement est et a toujours été le fait d’une frange certes minoritaire mais en tout cas non négligeable de jeunes qui participent de manière continue au débat public. La capacité de révolte et l’insatisfaction des jeunes est intacte.»

Evoluant avec la société, la jeunesse française ne s’engage cependant plus comme avant. Comme si dans l’ère du zapping et du temps réel, ils suivaient le rythme. Ainsi, si 38% des jeunes adhèrent à une association, ils le font sur des périodes courtes. Les sociologues établissent eux-mêmes un parallèle avec la fin des CDI et la généralisation des CDD: « L’engagement n’est plus à durée illimitée», résume Robi Morder, chercheur au Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants (Germe), en introduction d’un rapport sur l’engagement étudiant. Guillaume Houzel (qui a dirigé Animafac, un réseau d’associations étudiantes), lui, parle de mobilisation en «sauts de cabris». La nébuleuse des 12.000 associations étudiantes montre cet enthousiasme échevelé pour de petites organisations aux objectifs très concrets et totalement indépendantes des structures associatives traditionnelles.

Pas d’identification avec les partis traditionnels

«Les institutions structurant la société ont beaucoup souffert après 1968, note encore Guillaume Houzel. Et les trajectoires d’engagement à l’ancienne, un moniteur de colo qui a un fils moniteur de colo, ont très largement disparues. Les jeunes se sont créés des tribus identitaires autour de leurs passions qui les éloignent des groupes auxquels ils sont sensés appartenir.» Fini les partis politiques, les syndicats, les grandes structures à papa: les jeunes n’aiment pas être assimilés à des slogans et se méfient de tout ce qui impose de déléguer leur pouvoir de décision. De manière générale, l’engagement des jeunes est de moins en moins idéologique. Se passionnant pour une action de terrain, ils sont plus souvent proches de l’opération coup de poing que de la théorie politique et du think tank. «Ils veulent se faire entendre par leurs propres moyens, analyse Anne Muxel. Ils maîtrisent Internet et connaissent le jeu médiatique. Leur action est ponctuelle pour une réponse rapide et concrète des pouvoirs publics. »

Un procédé que maîtrise bien le collectif d’étudiants Jeudi Noir, qui squatte les appartements vides pour faire bouger les autorités sur la question du logement. La dépolitisation des jeunes, ça fait d’ailleurs rire jaune le porte-parole de l’association, Julien Bayou, un acharné de l’engagement. Il cite une copine: squatter un appartement est beaucoup plus politique que de dormir sur les bancs de l’Assemblée nationale. «Je ne suis pas encarté, mais je fais de la politique tous les jours. Ce n’est pas la jeunesse qui refuse de s’engager, c’est l’offre politique et syndicale qui ne séduit pas. Je trouve d’ailleurs plutôt rassurant de savoir que la jeunesse refuse d’entrer dans des mouvements auxquels elle ne s’identifie pas.»

Dernier mouvement d’ampleur de la jeunesse, la résistance au Contrat première embauche de Dominique de Villepin, en 2006, est emblématique de la vie politique des jeunes. Elle prouve la capacité de la jeunesse à se fédérer quand elle se sent menacée, de même que l’incapacité des structures politiques à transformer un mouvement spontané en engagement durable. Un phénomène identique s’est produit en 2002 avec une mobilisation extraordinaire au second tour de la présidentielle, contre la présence de Le Pen. Ce jour-là, les jeunes ont voté en masse. Deux mois plus tard, pour les législatives, il n’y avait plus personne.

Le succès d’Europe Ecologie

«La jeunesse fonctionne à l’envie, accorde Julien Bayou. On ne s’encarte plus dans des structures comme on entre en religion. Les partis, c’est chiant, c’est pas pragmatique, on ne peut jamais applaudir quelque chose qui vient de l’opposition.» Cette lassitude du débat gauche-droite, à la fois très idéologique et très brouillé, a fait le succès de François Bayrou, en 2007. Nombreux sont les jeunes qui ont suivi les traces de cette 3e voie, avant de s’en détourner, déçus.

Plein d’espoir pour les régionales de 2010, Julien Bayou fait un essai électoral sous les couleurs d’Europe Ecologie. «Parce que, justement, ce n’est pas un parti, justifie-t-il. Il n’y a pas de carcan, c’est un mouvement ouvert, notamment à de nouvelles manières de militer. Avec “Sauvons les riches”, on a prouvé qu’au sein d’Europe Ecologie, on pouvait faire entendre sa voix de manière indépendante et novatrice. »

Voir Julien Bayou et Augustin Legrand, cofondateur des Enfants de Don Quichotte, rejoindre Cécile Duflot en Ile-de-France n’étonne guère les observateurs. «De manière générale, les grandes causes et les valeurs universalistes motivent les jeunes à s’engager politiquement. L’égalité comme l’environnement, les droits de l’homme, la justice et le commerce équitable», explique Anne Muxel. «Le débauchage associatif a toujours existé en politique», complète Guillaume Houzel. Les listes d’Europe écologie, notamment en Ile-de-France, sont d’ailleurs truffées de personnalités issues du milieu militant et associatif… Les conseils régionaux pourraient bien voir débarquer, après le 21 mars, une flopée de jeunes. Et des vrais de vrais, en plus, avec des comptes Facebook plein d’applications stupides et des coupes de cheveux pas très conventionnelles.

Flore Thomasset
Image de une: Manifestation contre la «réforme Darcos», le 16 décembre 2008 à Paris. Charles Platiau/Reuters

*Auteur de Avoir 20 ans en politique, enfants du désenchantement, aux Editions du Seuil, février 2010, 240 pages.

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