Depuis mai 2012, j’ai rejoint l’équipe d’Avaaz, mouvement que je suis quasi depuis sa fondation en 2007.
Une ONG au fonctionnement « légèrement » différent des autres, car non-spécialisée et très très largement soutenue: plus de 18 millions sympathisants au niveau mondial, plus d’1,85 million en France (voir la répartition ici) menant des campagnes globales sur tout un tas de sujets essentiels : droits humains, anti ogm, pro biodiversité, pro lgbt (ici en Ouganda) ou libertés numériques (acta) ou transparence en politique (victoire importante au Brésil ici). Avaaz est spécialisée dans la mobilisation rapide en ligne, sur tous sujets qui intéressent les membres. Du coup ça implique de les sonder et c’était tout l’objet de l’énorme sondage du mois de janvier (voir plus bas).
Si notre action, nos campagnes ont de l’impact et si les medias s’en saisissent plus ou moins régulièrement, les reportages en français SUR l’ONG en soi ne sont pas encore légion..;
Voici donc un reportage de la BBC qui présente un peu notre action, avec Alex Wilks (un des directeur de campagnes, le plus francophile) en live et Ricken Patel (le fondateur et directeur exécutif) par skype.
et ci-dessous un article en profondeur sur le fonctionnement d’Avaaz, par The Guardian, avec la traduction en français ci-dessous
La suite de l’article est en anglais, alors voici le texte en français ci-dessous.
Au final, combien d’associations font ce travail de réellement demander à leurs membres d’indiquer les campagnes prioritaires pour l’année suivante?
Pour creuser, voici la page où se déroule la discussion et où tout le monde peut répondre au sondage et lancer la discussion:
Ensuite, semaine après semaine, les campagnes sont elles aussi testées auprès des membres, plus d’infos ici
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A lire en anglais sur The Guardian. Source: http://www.guardian.co.uk/world/2013/jan/15/avaaz-online-campaigning-reinvent-politics
Avaaz : les campagnes en ligne peuvent-elles réinventer la politique ?
Exercice pratique de démocratie chez Avaaz : l’organisation spécialisée dans les pétitions demande à ses 17 millions de membres de redéfinir ses priorités. Mais sa politique virtuelle a-t-elle un impact dans le monde réel ?
Comment faire fonctionner une organisation qui compte 17 millions de chefs ? Avaaz, le géant de la pétition en ligne engagé pour la création d’un État palestinien, contre le scandale des écoutes chez News International ou la torture de Bradley Manning tente comme chaque année de répondre à cette question cette semaine.
En 2012, l’une des campagnes d’Avaaz a réuni plus d’un million de signatures pour demander la scolarisation de tous les enfants pakistanais après l’agression de Malala Yousafzai, une militante de 15 ans encore collégienne. La pétition a été remise par l’envoyé spécial de l’ONU Gordon Brown au président pakistanais, qui a lui-même signé le texte. Avaaz a également recueilli 1,8 million de voix pour la reconnaissance de l’État palestinien et participé au grand mouvement en ligne anti-ACTA en janvier dernier.
Aujourd’hui, pour fixer le cap, l’organisation née il y a cinq ans tient ce que l’un des chargés de campagne nomme une « conférence générale » où les membres décident du programme de 2013.
Dans une organisation normale, cette rencontre se passerait dans un morne hôtel d’aéroport. Chez Avaaz, tout est virtuel : certains participent simplement en cochant des cases dans un sondage, d’autres développent leurs idées dans de longs débats sur les forums et d’aucuns proposent des actions en coopération avec les associations locales. Les 80 employés répartis à travers le monde ont eux aussi leur petite idée du programme, mais comme dans le mouvement Occupy ou lors du printemps arabe, ils se présentent comme la voix des membres.
Les idées arrivent par milliers. Parmi les centaines de pages de commentaires et les dizaines de milliers de réponses, les priorités sont nombreuses. « Comment arrêter à la fois les groupes islamistes en Syrie et le régime d’Assad ? » demande Omar, de Syrie. Shanti, du Népal implore : « S’il vous plaît, lancez une campagne contre le massacre des chiites au Pakistan. Plus de 100 personnes sont mortes dans un attentat à Quetta il y a deux jours ». En Australie, Peter souligne « Le droit à une éducation laïque pour tous les enfants est essentiel pour l’avenir de l’humanité ».
Alors que le mouvement Occupy s’est effondré depuis la dissolution des groupes d’occupants dans le monde entier et que les pays du printemps arabe ont connu des fortunes diverses, allant de la réémergence de lois et d’élites honnies en Égypte à la guerre civile en Syrie, le militantisme en ligne semble en plein essor. Avaaz comptait six millions de membres il y a deux ans, dix millions en janvier 2012 et plus de dix-sept millions hier. Les mouvements 38 Degrees et Change.org sont eux aussi passés la vitesse supérieure. Mais tout changement d’échelle s’accompagne de nouveaux défis. Ces groupes comptent-ils de véritables victoires ? Qui les dirige vraiment ? Les employés ou les simples citoyens ? À l’heure où les États commencent à s’intéresser à la démocratie numérique en lançant leurs propres plateformes de pétitions et en promouvant une démocratie « participative », quelles sont les perspectives à long terme ?
Avaaz a lancé sa consultation annuelle mardi dernier avec l’envoi d’un demi-million d’e-mails demandant aux membres (les personnes ayant signé les pétitions précédentes ou participé à d’autres actions) de remplir un sondage de grande envergure sur le programme de 2013. Ce vote est peut-être l’un des exercices de mise en pratique de la démocratie participative les plus ambitieux jamais réalisés : des millions de membres, 14 langues, plus de 100 pays.
Les questions sont variées : des priorités de l’organisation (à l’heure où nous écrivons cet article, « droits humains, torture, génocides, trafic d’êtres humains » est en haut de la liste alors qu’« alimentation et santé » est tout en bas) à des suggestions de campagnes en passant par le crédit à accorder à ce sondage : à cet instant, 86 % des membres souhaitent que les équipes l’utilisent comme guide alors que 6 % pensent qu’il devrait être un cadre contraignant[1].
Alice Jay, directrice des campagnes, est l’une des premières à surveiller les résultats qu’elle a contribué à recueillir. Après avoir travaillé pour l’ONU et des associations caritatives internationales, elle a rejoint Avaaz il y a quatre ans, alors que l’organisation ne comptait qu’un million de membres.
Pour elle, l’exercice est crucial et sérieux. « Nous sommes un voilier, pas un bateau à moteur, dit-elle. En matière de stratégie comme de campagnes, nous ne pouvons pas être plus forts que le vent d’idées qui nous fait avancer. Si nous pensons qu’une campagne est fantastique, nous les testons. Si les membres ne suivent pas, elle va au placard. Les retours des membres sont essentiels dans nos décisions stratégiques. »
Facile à dire. Un esprit critique peut remarquer qu’il est simple de biaiser l’exercice : il est peu probable que les déçus passent du temps à remplir un sondage dont les questions peuvent être formulées pour orienter les réponses dans une direction favorisée par les équipes.
Alice Jay a une réponse claire à ces critiques : si Avaaz ne faisait pas ce que lui demandent ses membres, elle ne survivrait pas. Mais, nuance-t-elle, les membres sont reconnaissants aux équipes internes de jouer le rôle de pilotes. « Nous sommes financés à 100 % par nos membres, 5 euros par-ci, 20 euros par-là. Nos membres sont vraiment nos patrons, ce n’est pas un simple slogan. »
« Nous avons souvent constaté que les membres d’Avaaz apprécient fortement notre rôle de pilote : ils veulent des idées et des suggestions créatives pour les causes qu’ils soutiennent. Les initiatives individuelles échouent malheureusement souvent. Nous avons la chance d’être un mouvement qui apprécie les compétences de nos équipes, au service des membres, leurs patrons. »
L’argent et la direction des campagnes sont des sujets délicats dans le monde du militantisme. Naomi Colvin, une militante très impliquée dans le mouvement Occupy et le réseau de soutien à Bradley Manning, déclare admirer le travail de sites comme Avaaz mais souligne qu’ils ne sont pas aussi démocratiques qu’ils aiment le croire.
« Je pense qu’Avaaz accorde une place plus importante à ses équipes dirigeantes que d’autres sites », explique-t-elle. « Je n’ai jamais eu l’impression qu’Avaaz est dirigée par ses membres. Les équipes internes décident de ce qu’elles vont faire. La meilleure transparence sur le processus de choix des campagnes est un pas dans la bonne direction et peut aider à renforcer le sentiment d’implication de la base, mais Avaaz ne sera jamais un mouvement aussi direct qu’Occupy. »
Naomi Colvin souligne un autre problème plus complexe : les intérêts conflictuels. De nombreux gouvernements ont aujourd’hui créé des sites de pétitions directes auxquelles ils promettent une réponse : dès 100 000 signatures sur le site de pétitions britannique, une commission parlementaire discutera de la question dans l’objectif d’un débat. Aux États-Unis, 25 000 voix vous donnent droit à une réponse de la Maison Blanche, quel que soit le débat (voir encadré).
Tandis que les opposants à la réforme du système de santé britannique tentaient de rassembler 100 000 signatures, les équipes de 38 Degrees avaient un plan différent. « Je crois que 38 Degrees détenait des informations confidentielles et pensait que le moment du débat était mal choisi, se souvient Naomi Colvin. Ça a fini par se retourner contre eux : les membres ont fini par couvrir leur mur Facebook pour savoir pourquoi ils ne soutenaient pas les pétitions existantes. Ça fait mauvais genre. »
Ces conflits sont presque inévitables, pense Naomi Colvin, précisément à cause du mode de financement : aussi formidable que puisse paraître (et souvent être) le financement par les membres, il encourage fortement les sites à s’impliquer dans n’importe quel problème en vogue. Il existe donc un véritable risque de conflit entre les organisations, qui peuvent s’y perdre au lieu de faire changer les choses.
Indépendamment de ces détails, concède Naomi Colvin, Avaaz et ses comparses ont leur place dans l’échiquier politique : « Une pétition d’Avaaz qui arrive au bon moment peut souvent faire pencher la balance. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Manning. Même si personne de notre campagne n’était en contact avec les gens d’Avaaz et qu’il y a eu des problèmes de rédaction, la pétition qui a rassemblé 500 000 signatures en 48 heures a vraiment compté. Avaaz peut toucher un très vaste public. »
Manifestant lors des négociations de l’ONU sur le réchauffement climatique à Barcelone, novembre 2009. Photographie : Lluis Gene/AFP/Getty Images
Ces débats passent peut-être sous silence la question la plus évidente : les pétitions ont-elles un effet réel ? Sont-elles assez nombreuses ? Le « clictivisme », le fait de cliquer sur une pétition sans se lever de sa chaise, remplace-t-il les mobilisations dans la vie réelle ? Cette question semble impatienter Alice Jay d’Avaaz.
« Je pense que ce débat est absurde. Personne ne remet en question le fait qu’iTunes a révolutionné le marché de la musique ou eBay le commerce. Personne n’appelle cela du clictivisme, dit-elle. Personne n’a jamais qualifié Gandhi de « marchiviste » ni Rosa Parks d’« assiviste ». Simplement, Internet est le nouveau lieu du changement. Pensez local, agissez local, pensez national, agissez national, pensez planétaire, agissez planétaire. C’est ce que permet de faire Avaaz. »
Ceux qui savent ce qui se passe dans les bureaux gouvernementaux sont, eux, plus réservés. Anthony Zacharzewski, un ancien haut fonctionnaire britannique maintenant directeur de Demsoc, une organisation qui étudie sur les nouvelles manières de gouverner, a un verdict plutôt sévère sur l’efficacité des pétitions. « Ce sont les fast-foods de la démocratie. Sur le moment, on se sent bien, mais sur le long terme cela n’apporte rien, dit-il. Comme toujours, plus il est facile à ceux qui ont le pouvoir de discréditer votre action sous prétexte que c’est une simple pétition ou que les contestataires sont toujours les mêmes, plus vous serez discrédités. »
Zacharzewski soutient l’idée d’une démocratie plus interventionniste et plus participative mais souhaite des initiatives plus subtiles dans le monde virtuel et réel : le rassemblement de « jurys » citoyens pour débattre en profondeur de questions spécifiques, l’ouverture de la politique plus loin que le binôme traditionnel lobby/fonctionnaires. Certaines de ses propositions ont attiré l’attention du Bureau du Cabinet et des essais sont déjà en cours.
Il faut aussi noter qu’Avaaz et ses confrères sont des outils de plus en plus sophistiqués. Avaaz, qui a rassemblé plus d’un million de signatures dans sa campagne pour la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État à l’ONU, a plus d’un tour dans son sac : l’organisation a lancé un appel au don pour financer des sondages d’opinion sur le vote alors à venir à l’ONU dans trois pays afin de montrer aux responsables politiques la force du soutien citoyen sur cette question et de leur donner une justification politique.
Son prochain objectif est d’étendre son bulletin quotidien pour combiner des rapports et des actualités à l’échelle mondiale et des appels à l’action. Il s’agit d’un changement que les équipes veulent introduire depuis plusieurs mois et qui est très populaire chez ses membres (pour 65 % d’entre eux, c’est l’une des trois principales priorités de l’organisation).
Si ce système de campagnes vives, sophistiquées et précises se pérennise (et au vu des campagnes actuelles à la fois pour et contre le mariage pour tous, les viols en Inde, les drones et la surveillance, il y a toutes les raisons de penser qu’il tiendra), il pourrait changer en profondeur la politique. Et les grands perdants, selon Zacharzewski, seront les partis traditionnels : aujourd’hui, les citoyens sont prêts à soutenir certaines causes, mais pas les compromis nécessaires aux partis.
« Je pense que les partis traditionnels doivent faire face à un problème structurel considérable, dit-il. L’un des membres du conseil d’administration de mon organisation pense qu’ils sont déjà morts et enterrés. Cette position est un peu extrême, mais je crois fermement que l’idée du parti politique en tant que compromis s’écroule car les citoyens ne sont plus prêts à accepter les compromis. »
« Les cinq ou dix prochaines années vont montrer si et comment les gouvernements et la politique en ligne peuvent se réinventer pour s’adresser à une société marquée par l’hyper-individualisation et l’hyper-communication. S’ils n’y arrivent pas, nous sommes peut-être à la veille d’une nouvelle révolution. »
Le pouvoir des pétitions : cinq exemples
Retrait des allocations [sic] aux personnes condamnées pour les émeutes à Londres
Gouvernement britannique,
258 628 signatures
La pétition ayant remporté le plus de succès sur le site officiel du gouvernement britannique à ce jour est un appel à retirer les allocations aux personnes condamnées pour avoir participé aux émeutes de 2011. Le gouvernement a répondu que les prisonniers perdent de facto leurs droits à toute allocation, mais la pétition a suscité des discussions dans les rangs du parlement même si, à la colère de certains, aucun débat sur les allocations n’a eu lieu.
Palestine: il est temps
Avaaz,
1 809 316 signatures
Avaaz a largement dépassé son objectif d’un million de signatures avant la conférence de l’ONU qui allait décider d’accorder à la Palestine le statut d’État non membre en novembre dernier. Dans cette campagne, la pétition n’était qu’un outil parmi d’autres. Même s’il est impossible d’évaluer le rôle de l’organisation dans le vote, 138 pays ont se sont exprimés en faveur de la motion.
Bloquez l’extradition de Richard O’Dwyer vers les États-Unis
Change.org,
253 710 signatures
Cette pétition contre l’extradition vers les USA de Richard O’Dwyer, étudiant à Sheffield, suite à une accusation liée à la violation du droit d’auteur a été lancée par le fondateur de Wikipedia Jimmy Wales, en coopération avec le Guardian. Richard O’Dwyer a finalement évité extradition et procès en parvenant à un accord avec les plaignants. Sa famille a remercié le grand public pour son soutien, qui a été « d’une grande aide ».
Royaume-Uni : stoppons Rupert Murdoch
Avaaz,
378 212 signatures
Cette pétition a été lancée à l’apogée du scandale des écoutes alors qu’il est apparu que Rupert Murdoch pourrait racheter BSkyB. Avec 48 heures pour agir, les signataires ont appelé David Cameron et Nick Clegg à intervenir pour bloquer son offre. Au dernier moment, la News Corporation de Rupert Murdoch a retiré son offre. Elle reste aujourd’hui une force qui compte dans le monde des médias.
Assurer les moyens et le financement d’une Étoile de la mort pour en commencer la construction d’ici à 2016
Maison Blanche,
34 435 signatures
La réponse de la Maison Blanche à cette proposition originale de relance de l’économie américaine a fait le tour du web. Malheureusement, les fans de Star Wars risquent d’être déçus. La Maison Blanche explique que « le coût de construction d’une Étoile de la Mort a été estimé à plus de 850 000 000 000 000 000 de dollars. Nous essayons de réduire le déficit budgétaire, pas de le creuser. » Mais les pacifistes acharnés de Washington vont encore plus loin en déclarant : « Le gouvernement n’approuve pas la destruction des planètes par explosion ». Froussards.
[1] Résultats temporaires. A consulter sur : https://secure.avaaz.org/fr/2013_global_survey_results/
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