Place des Vosges, Jeudi noir a fait visiter le patrimoine squatté
par Audrey Minart
Le collectif Jeudi Noir squatte depuis un an un hôtel particulier, classé en partie monument historique et situé place des Vosges, à Paris. (A.M.)
Fait rare: le 11 bis rue de Birague, dans le Ive arrondissement de Paris, ouvrait ses portes hier, à l’occasion des Journées du patrimoine. Le somptueux bâtiment de 2300m2, avec vue sur la place des Vosges, fait d’autant plus parler de lui depuis un an qu’il est squatté par le collectifdéfendant le droit au logement Jeudi Noir, en pleine débâcle juridique.
Mais l’on ignore plus souvent que le bâtiment est en partie classé monument historique. Construit au XVIIe siècle, il a vu naître la Marquise de Sévigné, et été habité, entre autres, par le géant de la machine à coudre: Paris Singer.
De nombreux visiteurs ont afflué dans la journée, intrigués par l’affiche placardée sur la porte d’entrée, et ont ainsi pu profiter d’une visite guidée de Camille Bidoche, spécialiste du Marais et menant actuellement des recherches sur le bâtiment. «Plusieurs voisins, ou habitants du coin, sont venus nous voir, explique Christophe, membre du collectif. Ils semblaient ravis de voir enfin les portes ouvertes. Elles étaient fermées depuis plus de 45 ans.»
25.000 euros d’amende par mois résidé
En effet, si Jeudi Noir a souhaité faire visiter le bâtiment, c’est autant pour raconter son histoire au fil des siècles que pour informer les visiteurs sur ce qui anime le collectif depuis quelques années. Et cette histoire-là commence en 1963, quand sa propriétaire actuelle, Mme C. une Française aujourd’hui âgée de 87 ans, le rachète sur un coup de cœur.
Ambitieuse, elle entreprend des travaux gargantuesques pour le rénover, avec pour objectif d’y installer un centre culturel. Jusqu’au jour où la tâche se révèle bien trop onéreuse pour en venir à bout. Les travaux s’arrêtent, faute de financements. Selon le collectif, preuves à l’appui, et contrairement à ce que soutiennent les avocats de la propriétaire, le bâtiment est laissé à l’abandon, inhabité depuis 1965. Plusieurs fois, entre 1994 et 2009, des squatteurs y pénètrent, systématiquement délogés par la police.
En octobre 2009, quelques membres de Jeudi Noir entrent dans les lieux. Plusieurs étudiants, jeunes actifs, n’ayant aucune autre possibilité de se loger, s’y installent. Quelques jours plus tard, la propriétaire porte plainte. L’affaire va jusqu’au tribunal en janvier, où le collectif se voit condamner pour occupation illégale et doit verser 25.000 euros d’amende pour chaque mois résidé après le jugement. Il fait appel.
«Il n’y a pas de préjudice, puisque ce n’était pas loué, et qu’il n’est pas louable, affirme Julien Bayou, membre fondateur du collectif. Nous, généralement, on accélère les travaux. Les Bâtiments de France sont entrés grâce à nous.» Mais en attendant, la quinzaine d’occupants concernés par la condamnation, sur la trentaine de «locataires», se retrouve aujourd’hui à la tête d’une dette de 200.000 euros.
Photo A.M.
«Réhabiliter l’image» du squatteur
Le collectif ne courbe pourtant pas l’échine, soutenu par quelques figures politiques, telles que Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Ile-de-France, et ragaillardi depuis jeudi par la proposition de médiation de la Cour d’appel de Paris, que Jeudi Noir a d’ores et déjà acceptée. «Nous savons très bien que nous ne sommes pas chez nous ici, reconnaît Christophe. Mais nous avons toujours dit que nous partirions dès que les travaux auront commencé.»
Selon Julien Bayou, ceux-ci ne pourront de toute façon pas débuter avant au moins deux ans, le temps que les Bâtiments de France instruisent le dossier pour permettre la délivrance d’un permis de construire. Mme C., mise sous tutelle par ses neveux et nièces, a jusqu’au 27 septembre pour accepter ou non la médiation. En cas de refus, un jugement sera rendu le 22 octobre. Juste à temps pour que les occupants puissent bénéficier du répit de la trêve hivernale dans le cas où l’expulsion serait choisie.
Néanmoins, la propriétaire peut être rassurée. Parmi les occupants, six sont architectes de profession. Et Jeudi Noir veille au grain: le bâtiment doit rester dans en l’état. Il s’agit autant de permettre à quelques jeunes de se loger en attendant mieux, que de sensibiliser l’opinion à la pénurie de logements. Et pour ce faire, selon Julien Bayou, il faut«réhabiliter l’image» du squatteur. Que Mme C. dorme donc sur ses deux oreilles.
Très beau papier M. Bayou 🙂