Chouette article de Café Babel, sympa d’avoir une lecture non-strictement-franco-française des questions jeunesse et politique.

cafebabel.com : Julien, notre génération, celle des 20-35 ans, est-elle très politisée ?
Julien Bayou : C’est vrai qu’on dit que les jeunes des années 1970 étaient plus politisés. En fait, il y avait surtout une fraction surpolitisée, celle qui avait le droit de faire des études et qui s’engageait au nom du Vietnam, de Mao, du mouvement féministe. Là on a peut-être la même proportion, mais la part de blasés est beaucoup plus grande, ceux qui se disent – même à juste titre – qu’il y a une fatalité, que les élus sont là pour se faire du blé et qu’ils ne s’intéressent pas aux préoccupations des gens. Forcément, quand tu vois qu’il y en a qui sont condamnés et qui restent à leur poste (le ministre de l’Intérieur français a étécondamné à deux reprisespar la justice lors de l’exercice de ses fonctions, ndlr), ça désenchante.
Après, les vieilles institutions n’ont pas saisi un truc : la jeunesse a sa propre forme de réflexion et d’expression. Quand on dit que dans les syndicats on ne trouve pas de jeunes, c’est d’abord parce qu’ils sont vieux. Idem pour les partis politiques. Le jeune passe sa journée sur Facebook, envoie 3000 textos au lieu d’un textile, va passer beaucoup de temps avec ses amis en virtuel mais il y aura quand-même un lien social très fort avec eux. Si tu lui proposes une réunion à 22h en passant par un métro surchargé, ça n’est plus son truc. Les syndicats doivent évoluer pour toucher et mobiliser, parler de sujets qui concernent la génération d’en dessous et la toucher ailleurs : sur Internet, dans les fêtes, dans des cafés et des lieux de convivialité, mais pas dans l’entreprise. Moi j’y crois beaucoup. Quand on dit « on a un problème et pas de solution », c’est qu’on fait partie du problème.
cafebabel.com : Tu es co-fondateur de Génération Précaire. On fait partie d’une génération qui porte pas mal de fardeaux : emploi, logement, environnement, crise. Comment s’en sortir selon toi ?
Julien Bayou : C’est vrai que tout ça tombe sur nos épaules. Mais il faut commencer par prouver que c’est possible. Mais les politiques nous incitent à la fatalité en prenant des mesures qui ne marchent pas et qui creusent encore un peu plus le déficit. Finalement, on en revient à dire que ce n’est pas possible, comme ce qui s’est passé pour les retraites. A la fin, ils disent simplement de travailler plus longtemps. Mais travailler plus longtemps ne résout pas le problème. Ils ne font qu’instiguer le poison démocratique de la fatalité.
cafebabel.com : Pourquoi notre génération ne se rebelle pas un peu plus face aux stages à gogo, aux salaires injustes et aux contrats mal-ficelés ?
Julien Bayou : Il y a des rébellions. Quand on voit la Grèce qui a flambé il y a deux ans, on en a eu l’écho immédiatement chez nous en France. Avant, c’était le ministère du Sport qui s’occupait de la jeunesse en France : ça veut dire qu’ils s’en foutaient ! Et directement, il y a eu un haut-commissaire à la jeunesse, Martin Hirsch, parce queNicolas Sarkozy et son équipe ont fait l’analyse que les ressorts de l’insurrection en Grèce ont trouvé leurs ferments en France. Faire ses études et ses preuves sans débouchés sur le marché du travail, les galères de logement, les discriminations, les difficultés encore plus vives pour les jeunes femmes… Tous ces maux existent en France. Il y a un terreau européen, une précarité commune qui touche en particulier pour la jeunesse. Et quand les galériens, les sans-boulots et autres mal-logés se mobilisent, c’est déjà un exploit social en soi.
Nicolas Sarkozy représenté en chômeur dans le squat Avenue Matignon :”cachez ce squat que je ne saurais voir” dit-il | Le squat est à deux pas de l’Elysée et de l’ambassade d’Israël. Il est entouré en permanence par la police
cafebabel.com : La précarité de la jeunesse n’est pas qu’un problème français. En Espagne ou en Italie, on parle de « mileuristas ». Vous avez tenté d’européaniser votre combat ?
Julien Bayou : Déboucher sur un réseau européen, c’est encore plus compliqué. Il y a les problèmes d’agenda, la question des moyens… Les forums sociaux européens permettent cet échange, mais on ne peut pas parler d’une véritable coordination malheureusement. Et comme on est mal représentés au Parlement européen, c’est encore plus compliqué. On a tout de même créé un réseau européen qui s’appelle «Generation P » pour « Praktikum » (« stage ») en Allemagne, « precario » (Italie/ Espagne) et « précaire » en France. Mais au niveau européen, tout ce qui passe parBruxelles avance très lentement. Et puis la question sociale n’y est pas toujours une priorité…
cafebabel.com : Tu as 30 ans, quels sont tes plus grands moments de réussite jusqu’à présent ?
Julien Bayou : Notre plus grande réussite est d’avoir pointé ces problèmes, c’est-à-dire les problèmes de logement et d’emploi des jeunes. En Angleterre ils disent «montrer l’éléphant qui est dans la cuisine ». Ca n’a l’air de rien mais c’est un peu comme l’inégalité des salaires homme/femme. Elle est de 23% toute l’année mais personne n’en parle. Le Squat Avenue Matignon est une belle réussite aussi, c’est fabuleux d’avoir pris un grand bâtiment comme celui-ci. On a vue sur l’Elysée ici. Sur l’emploi et les stages on est devenu expert, nos idées sont reprises par n’importe quel parti d’ailleurs pour apporter des solutions. Et la réussite a été aussi d’avoir été élu et de tenir les promesses.
Le squat Avenue Matignon, de l’intérieur | Le collectif “des galériens du logement” Jeudi Noir a investi un immeuble laissé à l’abandon par Axa assurance
Photos : Toutes les photos ont été prises par ©Sladjana Perkovic lundi 24 janvier
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