Il n’y a pas que le 14 juillet dans la vie… ou dans les dates importantes à revisiter.
Il y a aussi le 4 août, nuit de l’abolition des privilèges.
Quoi de mieux donc que cette date pour publier un billet ayant trait à l’impunité présidentielle.
A lire… et à mettre en relation avec le « Je veux une République irréprochable » de l’alors candidat Sarkozy (décryptée-traduite ici).
En attendant…, rendez-vous le 5 septembre pour la reprise du procès Chirac. Ou plutôt simulacre de procès devrait-on dire, puisque la principale partie civile s’est retirée et que le parquet a d’ores et déjà demandé la relaxe.
Elle est belle la France de la rupture.
Quelques contribuables de Sauvons les riches et Anticor tenteront de se maintenir partie civile, à suivre !
M. Sarkozy a organisé son impunité pénale
L’affaire Lagarde-Tapie doit sonner le rappel à l’ordre du gouvernement et du législateur, et plus particulièrement du législateur organique, chargé de la mise en oeuvre des lois constitutionnelles. Christine Lagarde est aujourd’hui mise en cause dans le dossier relatif au règlement arbitral du litige opposant le Consortium de réalisation à Bernard Tapie pour des « faits d’abus d’autorité susceptibles d’avoir été commis par (elle) en sa qualité de ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, depuis le 16 juin 2007 et dans l’exercice de ses fonctions ».
Il n’est nullement question ici d’adopter un quelconque parti pris sur la légalité des décisions de la ministre, et encore moins sur son éventuelle responsabilité pénale. Il est question en revanche de s’appuyer sur les éléments qui, eux, ne font pas l’ombre d’un doute : à savoir que, malgré ses dénégations, lesdites décisions n’ont pu être prises par elle sans instructions préalables de la plus haute autorité de l’Etat, le président de la République.
En effet, dans le système institutionnel français, aucune décision ayant de telles implications politiques et financières ne saurait être prise sans l’accord de ce que d’aucuns qualifient d' »hyperprésident » – le fût-il d’un « hypo Etat », selon une formule chère au professeur Guy Carcassonne ; « hypo » parce que pris entre, à l’intérieur, la décentralisation, le recul du secteur public, la multiplication des autorités administratives indépendantes et, à l’extérieur, l’Union européenne et la multiplication des conventions internationales.
Dans cette « monocratie », il est donc inconcevable que Christine Lagarde ait agi autrement que sur ordre de Nicolas Sarkozy. Aussi, si d’aventure celle-ci était renvoyée devant la Cour de justice de la République, décision qui vient d’êtrerepoussée à nouveau, le 8 juillet, au 4 août par la Commission des requêtes, on ne sait pas s’il y aurait une coupable dans le box, mais on sait qu’il n’y aurait pas une responsable.
Car, en l’espèce, ce n’est pas l’hyperprésidence qui est en cause – d’autant que l’actuel chef de l’Etat, s’il s’en satisfait pleinement, n’en est pas l’initiateur – mais plutôt l’hyporesponsabilité qui y est attachée depuis maintenant quatre ans et demi, et plus précisément depuis le 24 février 2007. Ce jour-là entrait en vigueur une révision constitutionnelle relative à la responsabilité du chef de l’Etat.
Avant celle-ci, et selon l’article 68 de la Constitution alors applicable, le président de la République bénéficiait d’une immunité pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, sauf cas de haute trahison qui relevait de la compétence de la Haute Cour de justice. Il s’agissait donc d’une responsabilité hybride, politico-pénale.
Politique parce que devant être déclenchée à l’initiative des deux chambres, et pénale parce que fondée sur une incrimination, aussi indéfinie était-elle. La Haute Cour de justice était, quant à elle, composée de douze députés et de douze sénateurs, mais siégeait au même titre qu’une juridiction pénale.
Telles que toutefois interprétées par le Conseil constitutionnel en 1999, puis par la Cour de cassation en 2001 – et sans qu’il soit besoin d’entrer plus avant ici dans les subtilités juridiques qui distinguaient leurs jurisprudences respectives -, ces dispositions emportaient de fait une entière immunité juridictionnelle pénale du chef de l’Etat pendant toute la durée de son mandat, y compris pour les actes commis hors l’exercice de ses fonctions.
Pour remédier à cet état de fait, et probablement plus contraint par sa propre actualité judiciaire, le président Jacques Chirac décida la mise en place d’une commission de réflexion sur le statut pénal du président de la République, présidée par le professeur Pierre Avril.
Et c’est sur la base du rapport remis par cette commission, le 12 décembre 2002, que fut engagée la révision de 2007.
Au système en vigueur fut substituée une forme de procédure d’impeachment, fondée non plus sur un manquement à la loi pénale du président de la République, mais sur un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Face à pareil manquement, il appartiendrait dorénavant aux membres des deux chambres de décider à la majorité des deux tiers la réunion de la Haute Cour – et non plus de la Haute Cour de justice – composée ensemble de l’Assemblée nationale et du Sénat, à charge pour elle de voter ou non la destitution – et non plus la condamnation – du chef de l’Etat.
Voilà donc le système tel qu’il devrait fonctionner, et voilà pourtant le système tel qu’il ne peut pas fonctionner depuis 2007. En effet, le dernier alinéa du nouvel article 68 prévoit que c’est à une loi organique de fixer les conditions de son application. Juridiquement, cela signifie que, hors cette loi organique, point de responsabilité présidentielle.
Or cette loi n’existe toujours pas. Devant cette carence gouvernementale, le groupe socialiste du Sénat, à l’initiative de François Patriat et de Robert Badinter, avait bien tenté de la pallier en déposant une proposition de loi organique.
Mais, face à pareille précipitation, Michèle Alliot-Marie, alors garde des sceaux, avait estimé qu’il était plus urgent d’attendre, tout en promettant de déposer un projet de loi gouvernemental dans le courant du deuxième trimestre… Nous étions alors le 14 janvier 2010 !
Le deuxième trimestre passé, rien n’est venu. Au troisième non plus. Arrivait la fin du quatrième lorsque fut déposé à l’Assemblée nationale un projet de texte, le 22 décembre 2010.
Mais voilà. Si le projet existe, il n’a pas, depuis, été inscrit à l’ordre du jour et il n’est pas prévu qu’il le soit, tout au moins avant les élections sénatoriales de septembre, ce qui laisse peu de temps d’ici à la présidentielle d’avril 2012.
C’est ainsi que, première dans toute l’histoire de la République, un président aura pu effectuer tout un mandat à l’abri en droit de toute possible mise en cause de sa responsabilité, et ce quelle que soit la nature de ses actes, publics ou privés, sauf crimes passibles de la Cour pénale internationale !
Mais nul ne songera à regretter que l’affaire Lagarde ne relève pas de la compétence de ladite Cour.
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